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Guillaume DE LACOSTE LAREYMONDIE

Cantique d’Adam (I)

« L’homme appela sa femme Ève,
Parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. »
Genèse III, 20


Ne m’oublie pas, Dieu vrai, vers toi j’ai tant crié.
Pour la mémoire, un seul cierge droit brûle ;
L’ombre tombe alentour, ange noir déployé.
Je suis là, au huitième soir, au premier crépuscule :
Je vois, bas sur ma tête, un astre éteint briller.
Jeté mal éveillé sous une obscure grêle,
Je me découvre nu, d’une chair trop mortelle,
D’une âme tendre à la douleur.

Ô Ève, Ève, où es-tu ? Plus qu’insondable, l’onde
A noyé notre foi — et loin de ta douceur
Je me suis levé seul, seul sur la terre immonde.

Or Ève a disparu, Ève a quitté le monde,
Ève n’est déjà plus qu’un souvenir rêveur.
L’Éden est-il perdu sous notre ère profonde ?

*

Je quittai Dieu pour toi. Qu’ai-je de ce départ ?
Rien, jamais rien ! Dis, Ève, dis qui aime,
Toi qui, chair de ma chair et œil de mon regard,
Es la substance de ma mœlle et l’autre de moi-même.
Notre pacte est-il nul ? Est-il déjà si tard ?
Mon cri te rendra-t-il à la vie éternelle,
Ou la nuit qui te garde est-elle trop fidèle ?
Ève, où est le ciel qui te reposait ?

Vois ! Dieu est imminent. Ce matin, la lumière
A jailli sur le monde où l’ombre l’endormait,
Ses bras ouverts d’Orient vers l’Occident, au Père.

La joie — j’ai recouvré la joie dans ma misère,
Et avec Christ demain je ressusciterai.
Ô mon Dieu, toi mon Dieu, prend ma pauvre prière.

*

Pour l’homme las, brisé, pour le fol déserteur
Qu’on rebute au fossé vivant encore,
Pour les prophètes vains, les villes sans veilleur,
Pour le rôdeur que prend la nuit, trouvé froid à l’aurore,
Pour tout l’amour blessé, éteint au creux du cœur,
Il ouvre l’huis de mort, le scelle de ses plaies,
Porte les malheureux, lève ceux qui pliaient.
Voici la vie : Christ a tout pardonné !

Car oui, Sa Rédemption panse l’antre de l’âme.
Qui parle de finir ? qui parle de pleurer ?
Moi-même, moi blessé, que suis-je quand la flamme

D’une invincible haine ou d’un démon infâme
Me traverse et m’étreint ? Mais Il m’a relevé,
Rend Ève à mon amour, épouse, mère et femme.