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Giovanni BENINI

Une reine

Chenue, impotente, voûtée comme une arcade
Qui supporta tous les fardeaux de l'univers,
Elle arpentait avec douleur la ville amère
Qui l'avait rejetée loin de ses olympiades.

Les enfants ricanaient la canardant de pierres
Sous l'oeil un peu froncé des vénérables mères,
Des marins goguenards lui lançaient une oeillade
Avec des rires gras et quelques mousquetades.

Son châle rapiécé attirait les corneilles
Qui agressaient sans fin sa pitoyable oreille
Et ses doigts tout tremblants cherchaient un loin trésor
Quand tintaient dans le vent les cloches d'une Laure.

Qui aurait pu penser qu'elle avait tant aimé
Jadis des ducs altiers et nobles chevaliers
Quand de sa voix suave, elle imitait les anges
S'en venant tout ravis la couvrir de louanges.

Son luth ensorcelé attirait les étoiles
Qui bondissaient sans fin dans un ciel armorial
Et ses cheveux de jais fascinait tant la lune
Que ses larmes d'or ornaient la voûte nocturne.

Quoi donc ce vieux débris, la reine de Saba, 
Aspasie adulée ou Hélène de Troie ?
Cessons de délirer, fuyons ce cauchemar,
Cette souillon grenue, ce flaccide têtard !

Ne faut-il pas garder en tout quelque prudence
Et se méfier souvent des jeux de l'apparence ?
Aussi, quand une nuit, je la suivis, furtif,
Le long des noirs sentiers, effrayé par les ifs,

Que j'épiais son ombre dans sa triste chaumière
Se mirer au miroir qui flambait de colère,
Je la vis, transformée en superbe Aphrodite,
Jeter ses sortilèges sur la cité maudite.

« Telle que vous m'avez vue, ainsi vous serez!
Séniles, décatis, scrofuleux, pustulés,
Vous n'aurez de cesse le jour de vous cacher
Dans vos viles maisons aux portes verrouillées ».

Depuis, notre cité ressemble à un hospice
Où quelques sots vieillards marmonnent leurs caprices,
Ont-ils tous oublié qu'un jour une déesse
Est venue quémander en vain quelques largesses ?