L'inconnue
Elle est alerte comme un funambule
Qui tangue sur les rayons de la lune,
Parfois grivoise comme un noctambule
Qui s’adresse aux étoiles sur la dune .
Elle suit le vent errant dans les rues
Quand il geint aux carreaux, la nuit venue,
Elle s’asseoit auprès des chemineaux,
Ces brouteurs édentés des caniveaux.
Elle est duchesse du domaine bleu
Que traversent des biches nébuleuses,
Ses yeux ruissellent de pierres précieuses
Que glissent des mains de pauvres boiteux.
Maîtresse exigeante, idole fatale,
Elle asservit tous ceux qui la désirent,
Quand elle accomplit sa transe infernale,
A ses pieds, ils s’effondrent en martyr.
Certains l’ont apprivoisée dans leur serre,
Mais elle s’est évaporée dans les airs,
En protégeant ses grappes de lumière
Pour renaître dans une autre clairière.
Farouche Amazone, ange étincelant,
Sphinx inaccessible, amoureuse fée
Reine des forbans, enfant mal-aimée
Pieuse vestale, diablesse en collant,
A travers le temps, à travers l’espace,
Les siècles passés, les pays lointains,
Le sauvage océan, l’empire des glaces,
Le vol de l’aigle, le chant du serin,
Tes cheveux chéris quand rougeoie l’aurore,
Tes doigts graciles où miroite l’or,
Tes lèvres où souffle un rêve sans fin
Et ce doux regard où naît le matin,
Elle est à jamais dans ce cœur fragile
Qui bat tout au long de nos vies furtives,
Elle murmure de sa voix votive
Qu’elle nous attend là-bas sur son île.
Certains s’y rendront, n’en reviendront pas,
D’autres ne feront pas le moindre pas,
Qui la côtoiera, risque la folie,
Le meurtre, le suicide, l'incendie.
Elle restera l'inquiétante effigie
Au voile brumeux , c’est la poésie.
