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Giovanni BENINI

Les immortels

Peu m'importe que je sois damné, enchaîné
Au Béhémoth dans un puits de soufre, empesté,
Que des griffons affreux lacèrent mes entrailles
Que sur ma peau maudite où suintent des entailles
Soit gravé en lettres de feu cet odieux signe
Que léchera un jour l'immonde bête insigne…
Car bien plus qu'un crime, plus grave qu'une offense,
J'ai condamné l'humanité à l'ignorance.
Mais je n'ai su confier les atroces secrets,
Des rites infernaux, des caveaux profanés
Que j'ai pu découvrir dans mes fiévreux voyages
J'ai traversé le grands désert de Mongolie,
Des carcasses dansaient sur des dunes sans âges,
J'y cherchais les sorciers accusés d'infamie,
Je les priais sans fin afin qu'ils me révèlent
Où était enfouie la cité des immortels.
Il fallut parcourir le reg des troglodytes,
Ces êtres incertains en proie aux amnésies
Qui s'arrachaient les chairs aux clameurs des harpies
Quand la lune moirait comme une stalactite.
L'horreur minérale fit place aux forêts rouges,
Des arbres écorchés y ruisselaient de sang,
Des branches effilées blessaient comme des vouges,
Le corps endolori, je vis ce monument.
Un porche gigantesque ouvrait un labyrinthe
Au silence plus lourd que des milliers de plaintes,
Des statues immenses taillées dans le granit
Gardaient impassibles tous ses sombres dédales
Où s'étageaient éperdument et sans limites
Livres et parchemins, sommes théologales,
Grimoires sulfureux, apocryphes proscrits,
Des légendes dorées, des livres de minutes,
Des encyclopédies, des partitions en ut,
Des traités d'alchimie, d'obscènes manuscrits.
Les pages s'envolaient en spirales ailées,
Les jours s'émiettaient, peut-être des années,
Je visitais inquiet ces couloirs infernaux,
Traquant fébrilement ces hôtes immortels
Quand vint l'heure fatale où je compris penaud
Qu'il n'existait rien sinon ces livres cruels
Enchaînant les humains aux terribles chimères,
Rêve d'éternité, élixir de jouvence,
Ces sordides papiers trompaient nos existences
Les plongeaient dans l'enfer des espoirs délétères,
Un bien triste rébus voilant l'ignominie
De notre condition vouée aux agonies.
C'est par un geste fou que je cessai ma quête,
Une torche à la main, je mis feu, en furie
A ces tombeaux écrits où règne l'avanie,
Alibi nauséeux de féroces conquêtes,
Et depuis j'ai rejoint ces frustres créatures
Errant dans les sables que tout vivant abjure,
Je n'ai pu oublier cet horrible voyage,
Qui pourra pardonner mon triste héritage ?
Que mon nom soit redit par les narquois mainates,
Et que s'envole ma honte au cri d'Erostrate !