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Giovanni BENINI

Les guetteurs sans mémoire

Elles guettent de l’embrasure où mord la bise,
Où tournoient des corneilles forgées par la nuit ,
Dans leurs yeux se reflétent toute la hantise
De ne pas voir venir celle que tous ont fui,
Et scrutent, par delà les mers de déserts rouges
Où des vagues de dunes insensiblement bougent,
Un horizon tremblant où rôde le silence,
Rompu de temps en temps par les ricanements
De quelques hyènes qui fouillent goulûment
Un charnier tout fumant de corps en pestilence.
Pauvres sentinelles que l’attente meurtrit,
Depuis tant de siècles, enlisées dans l’oubli,
Sur ces citadelles, leurs mémoires vacillent,
Qui était l’ennemi qu’il fallait signaler ?
Où était le trésor qu’il fallait protéger ?
Et chaque jour passe sans que leurs yeux ne cillent.
Parfois un cavalier pénétre dans l’enceinte,
De sa voix de stentor, clame quelque injonction,
Dans un langage, hélàs, devenu abscons,
Et chacun s’ en retourne dans son labyrinthe.
Parfois on se souvient de ce vieux rêve fou,
De lutter sans répit contre l’atroce ankou,
De le tenir bien loin de la cité radieuse
Que l’on avait bâti pour braver, orgueilleuse,
Les crocs cruels du temps et les sables mouvants,
Et du soir au matin, on épiait patiemment….

Mais la mort est bien là, tapie comme un grand fauve,
Dans nos remparts lépreux tout rongés par l’ennui,
Les cadavres pleuvent de nos tours alanguies,
Piètres chauves-souris, enveloppées de mauve.
Des cris de désespoir s’élèvent dans la ville
Tout n’est plus qu’agonie et larmes inutiles,
Et soudain vient l’éclair, plus rien ne reste flou :
Nous cherchions au dehors ce qui était en nous,
Nous savons maintenant, vains sont nos garde-fous !
Ce que nous regardons du haut de nos créneaux,
C’est le temps qui passe et qui, vite, emporte tout,
C’est le passé qui meurt à l’ombre des flambeaux.