Les ambitieux
Comme elle brûle cette échelle !
Chaque barreau agresse ton corps,
Tes mains se tordent de douleur,
Tes doigts voudraient comme une corolle vermeille
S 'évaporer dans les airs.
Mais il faut continuer.
Tel l 'alpiniste , il faut s 'élever le long du rocher
Qui surplombe l 'abîme.
S 'élever pour s'échapper ,pour s'humaniser,
Pour fraterniser, pour soi.
Car en bas,dans des eaux noires sournoises,
Grouillent, fourmillent, vocifèrent,
Comme un amas de chairs indistinctes
Les espérances furieuses,les ambitions déchues.
Parfois des larves remuent dans cette nuit poisseuse
Et secouent avec rage les échelons salutaires,
Avec des doléances vaguement égalitaires.
L 'on voit alors comme des grappes de raisins malades
Chuter lourdement des corps
Dans le cri sourd de leur colère...
Comme elle brûle,c 'est atroce!
Comme tu voudrais t 'arrêter , lâcher prise,
Apaiser tes douleurs,
Escale illusoire !
C 'est le prix à payer.
Car d 'autres visages,d'autres mains,
Telles des hydres malfaisantes,
T écraseraient aussitôt
Ne sens-tu pas leur haleine avide juste en-dessous ?
Alors grimpe vite, plus vite!
Avec tes stigmates incandescents
Pauvre nazaréen des temples modernes !
Grimpe et apprends à ne plus ressentir ta peine,
A ne plus entendre leurs plaintes,
Car, bientôt dans un halo de lumières,
Tu perçois à travers tes larmes
Un immense soleil, ce trésor jaune,
Dont révèrent tous les conquistadors
Les alchimistes et autres touristes.
La précieuse sphère qui secrète toute vie
Enfin à ta portée !
Dans un gigantesque effort
Tu tends, féroce, les bras
Pour saisir un rayon d 'or
Mais non !
Quelle horreur, tout bascule !
Tout se retourne, s'inverse,
Et c 'est le réveil brutal, implacable,
"Mon Dieu ,pourquoi nous as-tu abandonnés
Comme un enfant capricieux qui néglige ses jouets?".
L 'échelle est si froide,si roide
Que tes doigts se vitrifient,
Tes membres se paralysent dans le gel crépusculaire,
Tu avances à reculons
Poussé par l 'irrésistible puissance des ténèbres
Et tu entends, piteux Sisyphe des vacuités sidérales,
Les clameurs de tes espérances furieuses,
De tes ambitions déchues .
