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Giovanni BENINI

La louve

On l'appelait la louve aux mille feuilles mortes
Venue dans un brouillard où hurlaient des vents fous,
Ses prunelles de feu, en redoutable escorte,
Calcinaient le soleil comme l'oeil d'un hibou.

Le suaire d'hiver recouvrait les plateaux
Où naviguaient sans fin des nuées de corbeau
Que les troncs décharnés des chênes squelettiques
S'efforçaient d'agripper de leurs doigts frénétiques.

Quand elle s'engouffra dans la frileuse église
On vit des gargouilles s'épanouir en rictus,
De stupeur, le prêtre invoqua quelqu'Angélus,
Les paroissiens se signèrent dans leur hantise.

Son regard transperça le coeur du forgeron
Qui sans un mot quitta l'assemblée médusée
Et les deux recouverts d'une lourde fumée,
S'en furent sans un mot en pleine communion.

Ils vécurent là-haut dans les forêts obscures
Qu'aucun chant ne venait égayer aux aurores,
On les voyait parfois danser tels des lémures
Sous la lune livide et son ciel de portor.

Quand accourait l'hiver et son souffle féroce
Qui brisait le soleil sur les étangs gelés,
L'enclume résonnait ainsi qu'un glas atroce
Dans les heures noires où les âmes pleuraient.

De la forge fusaient quelques ricanements
Et nul n'aurait osé y entrer hardiment,
Des lumières roulaient le long des murs lépreux,
Une ombre gigantesque animait les grands feux.

Passèrent les saisons dans un ciel en furie,
Le printemps étiolé, l'été en agonie,
Le silence planait comme un fourbe rapace
Sur le bourg hébété infesté de limaces.

Vint ce jour quand la brume avalait tous les monts
La bise en rafale dans la forge rua,
Un spectacle hideux s'offrit aux maquignons
Et ces badauds ivres venus à grand fracas.

Une immense statue au mufle de satan
Dont les yeux arrogants jetaient des flammes vertes
Siégeait sur un trône décorés de serpents
Et de crânes hurlants aux lueurs violettes.

A ces pieds, une louve arrachait goulûment
Les chairs palpitantes du maréchal-ferrant,
Une voix lugubre tonna dans l'air sanguin:
"Tel que vous le vouliez, ce monde m'appartient"