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Giovanni BENINI

Jonas l'infortuné

Que cherchais-tu Jonas au fond du "Cachalot"
Dans ce miteux troquet bourré de matelots
Qui bavaient leur verjus sur d'amples jarretelles
Sentant le tabac froid des vieilles haridelles?

On avait dit de toi que tu convertissais,
Personne ne savait quel était ton secret,
Tu parlais d'un Yavhé mais à quel taux de change,
Cela semblait risqué avec ce nom étrange!

Tu avais redressé Zanzibar dévoyée
Qui se vautrait dans l’or de ses odieux méfaits,
Ses trafics d’esclaves pendus aux girofliers
Sous l’oeil avide des sultanes vérolées.

A Trébizonde, dans l'ivresse des épices,
D'éclatants pendentifs, d'ondoyantes soieries,
De parfums suaves et de tapisseries
Qui éclipsaient le soleil par tant de délices,

Tu les subjuguas tous par ton verbe puissant,
Ces monarques cruels, pédants et luxurieux,
Ils se sont prosternés comme des pénitents
Devant ce Dieu lointain qui les rendaient honteux.

On te vit sur les mers des déments Barbaresques
Qui effrayaient les tempêtes et ouragans
De leurs cris sauvages, de leurs lèvres en sang
Quand ils croquaient les os des bourgeois prudhommesques.

Ta foi rayonnante chassa leurs vils démons,
Ils se mirent à sangloter tels des enfants
Et leurs pleurs gonflèrent les vagues de l'océan
Qui s'enroulaient, sifflants, tels d'effrayants pythons.

Tu visitas au nord le royaume de glace,
Là, des tribus féroces sculptaient des idoles
Qu'ils abreuvaient du sang de ces vierges mongoles
Capturées dans la steppe où la bise menace.

Mais jamais, tu n'irais plus jamais à Ninive
Confiais-tu encore à tous ceux qui t'écoutaient
Car là-bas personne ne se repentirait
Car là-bas les lumières sont toutes captives.

Alors, quand deux anges sont venus te chercher
Dans leur blouse blanche, quand ils t'ont emmené
Dans un large fourgon ainsi capitonné,
Tu as su hélàs qu'il fallait y retourner.

Bientôt devant une herse toute rouillée,
Tu as reconnu cet immeuble désolé
Où erraient dans un parc quelques spectres damnés
A la recherche de leurs âmes envolées.

Quelle fut ta surprise quand ils t'applaudirent
Toi, le grand prophète qui devais les maudire!
Sur la vieille enseigne, on pouvait lire "Ninive,
Aile psychiatrique/Psychose évolutive".