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gabriel Etxeberry

Le petit pain de Solina

Je vous en prie, merci.
Cachez cet appétissant petit pain, Solina.
Il me murmure de m’éprendre des cents parfums de ses mille promesses.
Il se dresse rond sur la table allongée, vibre et vit, hâlé, entêtant.
D’abord altier et arrogant au sein d’un écrin de chaleur blotti,
clapi derrière une grille, voile de dentelle laissant apparaître un pâton rebondi,
il cuit.
Je l’ai pétri avec amour, malaxé avec tendresse, goûté,
désiré avec ardeur, jusqu’à ce qu’il rende les armes.
Ce petit pain bien levé, Solina, c’est le vôtre, il est offert.
Maintenant dévoilé, nu et fragile, sans soutien, gorgé de chaleur,
il érige sa fierté en fébrile et futile rempart.
Exposé à tous les périls, épeuré, il attend de son sacrifice qu’on le savoure avec révérence.
Brûlant, je parcours ce mont du faisceau de mon souffle haletant le long de ses courbes d’abondance.
J’admire toutes ses belles imperfections. J’anhèle.
Je tapote de ma main, du bout des doigts je caresse.
Il est prêt. Je suis prêt. Je vous espère.
Vient le moment sublime et cruel de la mise en bouche.
Dans cette fiévreuse communion, ce fugace instant où du plus profond des grignes
la mie blanche explose entre les lèvres, le présent est sitôt passé, le promis déjà exhalé.
Egoïstement, je veux bisser céans seulement sitôt y sursois,
repus par ce pain opulent dont les sirènes blandices m’envoutent .
Ce serait vice que de succomber par surcroît à cette éphémère gâterie culinaire.
Solina, ce petit pain aux secrets révélés, c’est le vôtre, je n’y ai droit…
Je m’avoue vaincu, je renonce j’attends qu’arrive la faim qui nous unira.