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François Olègue

Un monde à créer

Quand le cadran de mon horloge à quartz exhibe, à minuit précis, quatre zéros fatidiques – ceux du temps, de l’espace, de l’instinct et de la volonté –, je me vois un démiurge qui se propose de construire un nouvel univers. D’innombrables idées, fantaisies et spéculations s’agglomèrent et se concurrencent, une minute durant, dans mon crâne. L’illusion qu’elles produisent est assez utopique pour qu’un défenseur de l’ordre normal des choses s’en fâche rouge !

Il n’y aurait pas d’esclaves dans ma création, ni de faux amis, ni d’enfants affamés. L’usurier, le médecin et le prêtre y perdraient leur prestige. Bien des professeurs se trouveraient sans emploi, eux aussi : les bonnes choses seraient enseignées par la nature même, et les mauvaises choses n’auraient pas besoin d’être apprises. L’idéologie se changerait en compréhension, les lois sortiraient de scène, et la naïveté deviendrait l’unique force motrice de la société. Du reste, la société proprement dite, conçue et programmée comme un ingénieux mécanisme d’oppression, cesserait d’exister. Les notions de race, d’ethnie et de statut social s’estomperaient. Au lieu de la guerre, les humains feraient l’amour à toute heure de leur vie et de toutes les façons possibles, comme dans cette vidéo de Kylie Minogue où des centaines de corps mi-nus forment une immense Babel amoureuse, et personne ne les accuserait de débauche, puisque l’hypocrisie serait également hors d’usage. Des pains chauds pendraient aux branches d’arbres sauvages ; les lions, les panthères noires et les ours polaires se frotteraient, dociles, contre les jambes des hommes et mangeraient dans leurs mains ; l’eau cristalline et le miel odorant jailliraient çà et là du sol généreux. Les serpents et d’autres reptiles admis en Éden ne sauraient parler qu’à voix basse.

Il est fort agréable d’être un dieu, ne fût-ce qu’un instant, mais le premier chiffre affiché par l’horloge dissipe mon impression de suprématie. Alors, faute de pouvoir créer un Paradis païen sur la terre renouvelée, je prends mon stylo pour en tracer un sur une humble feuille de papier.