Un jour, la maîtresse d’école montra aux élèves âgés de sept ou huit ans un ballon de baudruche dessiné sur une feuille de papier. « Qu’est-ce que vous en dites, mes enfants ? demanda-t-elle, passionnée de tests pédagogiques. Comment trouvez-vous ce ballon ? » « Le ballon est rondelet et rouge », énonça un garçon à l’esprit vif et pratique. « Le ballon est un seul », répliqua son ami qui savait déjà compter jusqu’à cent. « Le ballon s’envole, dit un autre garçon dont la voix s’étranglait de timidité. Mais il y a une erreur là-dedans… Le ciel peut être bleu clair, bleu foncé, bleu-gris, bleu-violet ou bleu-noir, mais il ne peut pas être ainsi, incolore… » Et, jugeant cette réponse très niaise, tous les écoliers rirent à gorge déployée. La maîtresse sourit, elle aussi. « Ce petit, pensa-t-elle, n’aura pas beaucoup de chance dans sa vie ! » Je les connais bien, ces trois personnages qui vont sur leurs cinquante ans. Le premier d’entre eux est un homme d’État : quelles que soient les formes et les couleurs des ballons, quelqu’un doit en tenir les fils. Le deuxième est un homme d’affaires : quelqu’un doit compter et ranger les ballons afin d’en tirer profit. Le troisième est un homme de lettres : les ballons étant beaux, qu’ils flottent dans l’air ou qu’ils traînent sur le sol, quelqu’un doit en décrire la beauté. Cependant, les livres qu’il fait ont si peu de lecteurs que, soucieux de nourrir sa famille, il enseigne le français dans un grand collège. Ses élèves ignorent ce qu’est un test pédagogique. Et chaque fois qu’il regarde le ciel, clairvoyant au contraire de ses deux collègues, il se souvient de la première leçon de savoir-vivre qu’il a reçue. Ah oui, le ciel est vraiment incolore !
