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François Olègue

Il y avait des aurores qui chassaient la nuit...

Il y avait des aurores qui chassaient la nuit
et des rossignols qui pleuraient sur sa fuite.
Il y avait des arbres qui engageaient leurs habits en automne
et des pluies qui les leur rendaient au printemps.
Il y avait de grands hommes qui changeaient le cours de l’histoire
et de petits hommes qui naissaient tous les jours.
Il y avait des nuages emportés par le vent,
des ruisseaux où la Croix du Sud flottait chavirée,
des baies rouges dont on extrayait l’élixir de jouvence
et des rêves transformés en réalité.
En un mot, il y avait un monde immense et splendide
auquel ne manquaient ni la variété, ni la force, ni l’harmonie,
un monde beau à voir, quasiment idéal ;
il y avait enfin moi qui en habitais le noyau
et ne l’observais de dedans qu’à travers les journaux
que je lisais, conservateur que je suis, chaque après-midi.
Je voyais, imprimés sur un papier gris,
les gens s’entretuer,
les flammes dévorer des pays entiers,
les banques s’écrouler,
les idoles perdre tout leur prestige,
et ce monde avait l’air d’une énorme difformité,
et moi, j’en avais horreur.
Je fermais donc les yeux et j’entrais à tâtons
dans un autre monde dont la splendeur
dissipait les brumes de mon lourd sommeil.
Il y avait des arbres et des aurores, dans ce monde-là,
de la variété, de la force et de l’harmonie,
et je m’y sentais très à l’aise, jeune et plein de santé,
et mes rêves, quelque fous qu’ils fussent, atteignaient leur but.
Et je gémissais, car, même endormi, je savais
qu’il aurait fallu du papier diapré comme un arc-en-ciel
pour les insérer, ces rêves, dans n’importe quel des journaux,
et cela me mettait au comble du désespoir.
Et c’était ma femme qui me réveillait,
me donnant des coups de coude et me soufflant à l’oreille :
« Ce n’est qu’un cauchemar, mon amour... »
dans le noir qui nous enveloppait, opaque et stérile.
Or, désespéré plus encore, je lui répondais
qu’il était dangereux de se réveiller ainsi, en sursaut :
l’infarctus pourrait bien résulter d’un réveil si subit,
et le monde idéal remplacerait d’un coup le réel.