Je marche librement à travers les fougères Je laisse l’être humain et sa grandeur passée Je me sens loin de tout, mon esprit se libère Je ne vois même pas que la nuit est tombée
Mes doigts deviennent raides et ma nuque est glacée La brise qui se lève rafraîchit l’instant Je continue ma balade dans la forêt Qui m’a vu naître il y a quelque quarante ans
Elle m’a vu sourire en voyant le matin Eclairer tendrement les feuilles des érables Elle m’a vu mourir d’amour et de chagrin Elle m’a vu souffrir pour des mains intouchables
Et elle m’a caché des promoteurs vauriens Ces hommes sans passion autre que leur argent Qui voulaient m’acheter ce lieu où je suis bien Pour y construire un hôtel ou un restaurant
Je n’ai jamais cédé, car ces lieux sont un don Il est rare qu’on puisse trouver sur la terre Un endroit où l’on peut rester à l’abandon Sans s’ennuyer pourtant, sans devenir austère
J’ai cependant vécu autre part qu’en ces lieux J’ai parcouru les villes et les mers de ce monde Mais nul endroit n’a pu me rendre plus heureux Que ce bois où ma quiétude reste profonde
En ville j’ai pu voir l’ivrognerie humaine La froideur des ruelles où l’on se perd souvent J’ai connu la folie des nuits parisiennes Et la « joie » de ces filles qui vont sous le vent
En mer, il y avait là quelques similitudes Avec ma vie dans les bois - solitude et pleurs – Mais sur l’eau, les tempêtes sont une habitude Qui m’amenait surtout de terrifiantes peurs.
J’ai donc tout évincé de mes pensées profondes Pour garder en mémoire le moindre recoin De ma forêt chérie, où se déverse l’onde, Dans laquelle je tombe, un pieu dans l’abdomen.