Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Pierre de SAINT-LOUIS
1626 - 1684

Livre second

Au pied d'un crucifix, une tête de mort,
Ou de morte plutôt, lui déclare son sort,
Y voyant, sur son front, ces paroles écrites,
Qu'avec elle, lecteur, il faut que tu médites :
" Dans les trous de mes yeux, et sur ce crâne ras,
Vois comme je suis morte, et comme tu mourras.
J'avais eu, comme toi, la chevelure blonde,
Les brillants de mes yeux ravissaient tout le monde,
Maintenant je ne suis que ce que tu peux voir,
Sers-toi doncques de moi, comme de ton miroir. "

Sur ce portrait sans masque, où tout lui peut paraître,
Elle voit ce qu'elle est, et ce qu'elle doit être,
Et regardant toujours ce têt de trépassé,
Elle voit le futur dans ce présent passé,
Cependant que le tronc de cette affreuse tête
N'est plus dans son tombeau qu'un reste de squelette,
Encor bien qu'elle eût eu le port, la majesté,
La grâce et les attraits d'une rare beauté,
Qu'elle eût été possible autrefois couronnée
Ou de chapeaux de fleurs, et de roses ornée,
Que mille adorateurs, de ses yeux embrasés,
Se fussent trouvés pris dans ses cheveux frisés.

C'est ce que fait Marie, et ce qu'elle contemple,
Dans ce trou qui lui sert d'oratoire et de temple,
C'est ainsi que pensant ce qu'elle fut jadis,
Elle fait dans ce coin un petit paradis,
Y recevant du ciel la céleste rosée,
Comme la mère perle, au soleil exposée.
Ou, bien qu'elle ait toujours la mort devant les yeux,
Son esprit toutefois vole et vit dans les cieux.
Ce visage changé lui fait changer de face,
Et sa neige se fond auprès de cette glace,
Ses yeux comme alambics qui coulent nuit et jour
Font distiller l'eau rose, au feu de son amour,
Dont la suave odeur, s'épandant par sa Baume,
L'encense, la remplit, la parfume et l'embaume,
Et comme la rosée épanchée au matin
Fait les pleurs de la nuit, répandus sur le thym,
Lorsque du jour vermeil elle pleure l'absence,
Désire son retour, et cherche sa présence,
De même Madeleine en cette obscurité
(Pendant que son soleil lui cache sa clarté
Et pour un peu de temps la prive de ses charmes)
Arrose sans cesser la terre de ses larmes.
Enfin, ayant ses yeux en cette eau tout confits,
Se fond, et se confond au pied du crucifix.