Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Pierre de RONSARD
1524 - 1585

Ode en dialogue des yeux et de son coeur

J'avoi les yeux et le coeur
Malades d'une langueur
L'une à l'autre différente,
Toujours une fievre ardente
Le pauvre coeur me bruloit,
Et toujours l'oeil distiloit
Une pluye caterreuse,
Qui s'écoulant dangereuse
Tout le cerveau m'espuisoit.
Lors mon coeur aus yeus disoit :

LE CŒUR
C'est bien raison que sans cesse
Une pluie vengeresse
Lave le mal qu'avez fait,
Car par vous entra le trait
Qui m'a la fievre causée,
Lors mes yeus plains de rosée,
En distillant mon soucy,
Au coeur respondoient ainsi.

LES YEUX
Mais c'est vous qui fustes cause
Du premier mal, qui nous cause
A vous l'ardente chaleur,
Et à nous l'umide pleur.
Il est bien vray que nous fûmes
Auteurs du mal, qui receûmes
Le trait qui vous a blessé,
Mais il fut si tost passé
Qu'à peine tiré le vîmes
Que ja dans nous le sentîmes :
Vous debviés come plus fort
Contre son premier efort
Faire un peu de resistance,
Mais vous printes acointance
Tout soudain aveques lui,
Pour nous donner tout l'ennuy.
O la belle emprise veine !
Puis que vous soufrez la peine
Aussi bien que nous, d'avoir
Voulu seulz nous decevoir.
Car la chose est raisonnable
» Que le trompeur miserable
» Reçoive le mal sur luy
» Qu'il machinoit contre autruy,
» Et que pour sa fraude il meure.

Ainsi mes yeux à toute heure,
Et mon coeur contre mes yeux,
Quereloient sedicieux
Quand vous, ma douce maistresse,
Ayant soing de ma destresse
Et de mon tourment nouveau,
Me fistes present d'une eau
Qui la lumiere perdue
De mes deus yeux m'a rendue.
Reste plus à secourir
Le coeur qui s'en va mourir,
S'il ne vous plest qu'on luy face
Ainsi qu'aux yeux quelque grace.
Or pour esteindre le chaut
Qui le consomme, il ne faut
Sinon qu'une fois je touche
De la mienne vostre bouche,
Afin que le doux baiser
Aille du tout apaiser
Par le vent de son haleine
La flamme trop inhumaine
Que de ses ailes Amour
M'evente tout à l'entour,
Depuis l'heure que la fleche
De voz yeux lui fist la breche
Si avant, qu'il ne pourroit
En guarir s'il ne mouroit,
Ou si vostre douce haleine
Ne le tiroit hors de peine