Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Théophile de VIAU
1590 - 1626

Le matin

L'Aurore sur le front du jour
Seme l'azur, l'or et l'yvoire,
Et le Soleil, lassé de boire,
Commence son oblique tour.

Ses chevaux, au sortir de l'onde,
De flame et de clarté couverts,
La bouche et les nasaux ouverts,
Ronflent la lumiere du monde.

Ardans ils vont à nos ruisseaux
Et dessous le sel et l'escume
Boivent l'humidité qui fume
Si tost qu'ils ont quitté les eaux.

La lune fuit devant nos yeux ;
La nuict a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des estoilles
S'unit à la couleur des Cieux.

Les ombres tombent des montagnes,
Elles croissent à veüe d'oeil,
Et d'un long vestement de deuil
Couvrent la face des campagnes.

Le Soleil change de sejour,
Il penetre le sein de l'onde,
Et par l'autre moitié du monde
Pousse le chariot du jour.

Desjà la diligente avette
Boit la marjolaine et le thyn,
Et revient riche du butin
Qu'elle a prins sur le mont Hymette.

Je voy le genereux lion
Qui sort de sa demeure creuse,
Hérissant sa perruque affreuse
Qui faict fuir Endimion.

Sa dame, entrant dans les boccages
Compte les sangliers qu'elle a pris,
Ou devale, chez les esprits
Errans aux sombres marescages.

Je vois les agneaux bondissans
Sur les bleds qui ne font que naistre ;
Cloris, chantant, les meine paistre
Parmi ces costaux verdissans.

Les oyseaux, d'un joyeux ramage,
En chantant semblent adorer
La lumiere qui vient dorer
Leur cabinet et leur plumage.

Le pré paroist en ses couleurs,
La bergere aux champs revenue
Mouillant sa jambe toute nue
Foule les herbes et les fleurs.

La charrue escorche la plaine ;
Le bouvier, qui suit les seillons,
Presse de voix et d'aiguillons
Le couple de boeufs qui l'entraine.

Alix appreste sou fuseau ;
Sa mere qui luy faict la tasche,
Presse le chanvre qu'elle attache
A sa quenouille de roseau.

Une confuse violence
Trouble le calme de la nuict,
Et la lumiere, avec le bruit,
Dissipe l'ombre et le silence.

Alidor cherche à son resveil
L'ombre d'Iris qu'il a baisee
Et pleure en son ame abusee
La fuitte d'un si doux sommeil.

Les bestes sont dans leur taniere,
Qui tremblent de voir le Soleil,
L'homme, remis par le sommeil,
Reprend son oeuvre coustumiere.

Le forgeron est au fourneau ;
Voy comme le charbon s'alume !
Le fer rouge dessus l'enclume
Estincelle sous le marteau.

Ceste chandelle semble morte,
Le jour la faict esvanouyr ;
Le Soleil vient nous esblouyr :
Voy qu'il passe au travers la porte !

Il est jour : levons-nous Philis ;
Allons à nostre jardinage,
Voir s'il est comme ton visage,
Semé de roses et de lys.