Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Béroalde de VERVILLE
1556 - 1626

Ainsi qu'on voit plorer la chaste tourterelle

Ainsi qu'on voit pleurer la chaste tourterelle
Quand la mort a éteint la moitié de son coeur,
Je veux en accusant ma fortune cruelle,
Éloigné de vos yeux soupirer ma douleur.

N'ai-je pas bien raison de faire ouïr ma plainte,
Puis qu'à votre départ mon coeur s'en va de moi ?
Et que ployant au joug d'une force contrainte
Il me faut supporter mon ténébreux émoi ?

Non non, je ne saurais tenir en mon courage
Sans le manifester, mon regret ennuyeux,
Ains je veux témoignant mon déplaisant dommage
D'un pleur continuel tenir moites mes yeux.

En lieu de sang j'aurai une source éternelle
D'une eau prête à monter en mon pensif cerveau,
Où se changeant en pleurs viendra continuelle
Couler sur mon visage en un double ruisseau.

De mes venteux poumons le devoir ordinaire
Sera de soupirer, et en air me changer
Afin de plaindre mieux l'aventure contraire,
Qui las ! me veut de vous par l'absence étranger.

Est-ce pas un malheur assez fort pour contraindre
Les esprits plus félons à distiller en pleurs,
Que voir venir leur mal ? J'ai donc cause de plaindre
Lorsque vous absentant j'aperçois mes malheurs.

Bientôt d'un noir manteau la terre environnée
Effacera le jour, et seul je m'en irai,
Jetant mille soupirs pleurer ma destinée
Si tôt que de vos yeux la clarté je perdrai.

Regrettant sans cesser de vos yeux la présence,
Je n'aurai bien aucun pour me désennuyer,
Qu'en mon mal renaissant changer en autre essence,
Pour m'exhalant en pleurs en soupirs me noyer.

Espérance fuyez, car vous trompez ma vie,
Je veux sans espérer me tenir en mon mal,
Pour être bien heureux je ne veux autre envie,
Que suivre les erreurs de mon malheur fatal.

Courez tant que voudrez, inconstante fortune,
Je serai obstiné résolu en mes maux,
Attendant jour à jour que ma peine importune
Vienne enfin accabler mon chef sous mes travaux.

Hélas ! vous qu'en mon coeur chastement engravée
J'honore sans changer de foi ni loyauté,
Si vous êtes autant pitoyable qu'aimée,
Ayez quelque pitié de ma calamité.

Au moins si quelquefois l'amour vous a atteinte
Mesurez ma langueur par votre affection,
Et oyant les soupirs de ma juste complainte,
Ayez de mon ennui quelque compassion.

Ne souffrez que le deuil soit maître de mon âme,
Mais par quelque faveur étranger mon souci,
Autrement en l'horreur que mon malheur me trame
Il me faudra passer au royaume obscurci.

Ores que je ne vois qu'une porte prochaine,
Pour soulager mon coeur, souffrez que bienheureux
Pour de votre amitié avoir preuve certaine,
Je prenne de vos mains ce baiser amoureux.

Ne me refusez point ce qui me fera vivre,
Car loin de vos beautés je m'en resouviendrai,
Jà ce doux souvenir de mon mal me délivre
Et me promet plus d'heur quand je vous reverrai.