Les grands
classiques

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Les grands<br>classiques

Étienne DOLET
1509 - 1546

Cantique d'Étienne Dolet

Prisonnier en la Conciergerie de Paris, l'an 1546,
sur la déclaration et sur la consolation.

Si au besoin le monde m'abandonne
Et si de Dieu la volonté n'ordonne
Que libertés encores on me donne
Selon mon veuil.

Dois-je en mon coeur pour cela mener deuil
Et de regrets faire amas et recueil ?
Non pour certain, mais au ciel lever l'oeil
Sans autre égard.

Sus donc, esprit, laissez la chair à part,
Et devers Dieu qui tout bien nous départ
Retirez-vous comme à votre rempart,
Votre fortresse.

Ne permettez que la chair soit maîtresse,
Et que sans fin tant de regrets vous dresse,
Si vous plaignant de son mal et détresse
De son affaire.

Trop est connu ce que la chair sait faire,
Quant à son veuil c'est toujours à refaire,
Pour peu de cas elle se met à braire
Inconstamment.

De plus en plus elle accroît son tourment,
Se débattant de tout trop aigrement,
Faire regrets c'est son allègement
Sans nul confort.

Mais de quoi sert un si grand déconfort ?
Il est bien vrai qu'au corps il grève fort
D'être enfermé si longtemps en un fort
Dont tout mal vient.

A ferme corps grand regret il advient
Quand en prison demeurer lui convient,
Et jour et nuit des plaisirs lui souvient
Du temps passé.

Pour un mondain, le tout bien compassé,
C'est un grand deuil de se voir déchassé !
D'honneurs et biens pour un voirre cassé
Ains sans forfait.

A un bon coeur certes grand mal il faut
D'être captif sans rien savoir méfaut,
Et pour cela bien souvent, en effet,
Il entre en rage.

Grand'douleur sent un vertueux courage
(Ce fut ce bien du monde le plus sage)
Quand il se voit forclus du doux usage
De sa famille.

Voilà les goûts de ce corps imbécile
Et les regrets de cette chair débile,
Le tout fondé sur complainte inutile,
Plainte frivole.

Mais vous, esprit, qui savez la parole
De l'Éternel, ne suivez la chair folle,
Et en celui qui tant bien nous console
Soit votre espoir.

Si sur la chair les mondains ont pouvoir,
Sur vous, esprit, rien ne peuvent avoir ;
L'oeil, l'oeil au ciel, faites votre devoir
De là entendre.

Soit tôt ou tard ce corps deviendra cendre,
Car à nature il faut son tribut rendre,
Et de cela nul ne se peut défendre,
Il faut mourir.

Quant à la chair, il lui convient pourrir,
Et quant à vous, vous ne pouvez périr,
Mais avec Dieu toujours devez fleurir
Par sa bonté.

Or dites donc, faites sa volonté ;
Sa volonté est que ce corps dompté
Laissant la chair, soyez au ciel monté
Et jour et nuit.

Au ciel monté c'est que premier déduit
Aux mandements du Seigneur qui conduit
Tous bons esprits, et à bien les réduit
S'ils sont pervers.

Les mandements commandent ès briefs vers
Que si le monde envers nous est divers,
Nous tourmentant à tort et à travers
En mainte sorte ;

Pour tout cela nul ne se déconforte,
Mais constamment un chacun son mal porte,
Et en la main, la main de
Dieu tant forte, Il se remette.

C'est le seul point que tout esprit délecte,
C'est le seul point que tout esprit affecte,
C'est où de Dieu la volonté est faite,
C'est patience.

Ayant cela ne faut autre science
Pour supporter l'humaine insipience,
Nul mal n'est rien, nulle doute si en ce
L'esprit se fonde.

Il n'est nul mal que l'esprit ne confonde
Si patience en lui est bien profonde ;
En patience il n'est bien qui n'abonde,
Bien et soulas.

En patience on voit coure, hélas !
De ce muni l'esprit n'est jamais las,
En tes vertus bien tu l'entremis, las !
Dieu tout puissant.

De patience un bon coeur jouissant
Dessous le mal jamais n'est fléchissant,
Et désolant ou en rien gémissant
Toujours vainqueur.

Sus, mon esprit, montrez-vous de tel coeur
Votre assurance au besoin fort connue.
Tout gentil coeur, tout constant belliqueur jusqu'à la mort sa force a maintenue.