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Roger VIDAL

Voyage

Passent les jours, les nuits, alternance sans âge,
Immortelles saisons aux cycles convergents,
Pourtant rien n’est pareil après un long voyage,
Les êtres et objets changent en voyageant.
Mais les voix, les odeurs, les images, les bruits,
Peuvent, fidèlement, se survivre en silence,
Comme un goût de réglisse, de miel ou de fruits
Qui s’échappe, pour nous, des prisons de l’enfance.
Et tout cela, soudain, nous devient familier,
Présent dans un passé, un moment suspendu,
Telle ronde et chanson des petits écoliers,
Qu’en l’école sans vie, tout seul, j’ai entendu.
Peut-être ai-je capté, passant prés du lavoir,
Le rythme des battoirs, dans le creux de l’oreille
Et même, un court instant, j’ai pu apercevoir
Les laveuses, rangeant les draps dans les corbeilles.
Au seuil de l’atelier de l’oncle menuisier,
Peut-être ai-je senti une odeur de copeaux.
Ma mère, ma grand-mère, est-ce vous qui disiez
A l’instant, dans la cour « N’oublie pas ton chapeau ».
Peut-être ai-je assisté, accoudé sur un pont,
Au passage d’une eau par une autre suivie,
Murmure d’un pays auquel rien ne répond.
Est-ce comme cela que s’écoule la vie ?
Ah comme ton cœur bat, mon pays ! Tu reviens,
Le même en ses saisons, de cent mille manières,
Fidèle et éternel, de toi, je me souviens,
Pareil voila cent ans, pareil l’année dernière,
Clamant l’unicité, toi pourtant si divers,
Tes montagnes roulant ses torrents vers les plaines,
Tes hommes fabriquant les sabots, en hiver,
Tes femmes tricotant des chaussettes de laine.
Pays que j’ai, en moi, hors du monde et des jours
Sans qui ma mémoire, ne servirait à rien,
Je t’emporte en partant aux semelles toujours,
Pays de paysans, de bergers, de terriens,
Te voila ressemant de l’or en tes forêts,
Alangui, paresseux, comme en hypothermie,
Te voila retrouvant une paix restaurée,
Serais-tu déjà prêt à mourir à demi ?
Il y aura l’hiver et puis, tu renaîtras
N’est-ce que le visible ou bien l’essentiel
Ou les deux à la fois, pour qui reconnaîtra
Les grillons en tes prés, les oiseaux en ton ciel ?
Et qu’importe, après ça, l’asphalte de tes rues,
Ta scierie changée en bistro à mi-temps,
Tes places goudronnées, tes brebis disparues,
Quand on sait que tes prés, verdissent au printemps.
Vivant, tout comme lui, toi, tu rebondiras,
Lutter, recommencer, tout serait donc dans ça ?
Ah je sais qu’en partant, une voix me dira :
« Vivre, c’était bien ça mais ce n’était que ça,
C’était cet anodin, tellement important,
Bien peu de chose au fond mais c’était tout pourtant ».