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Roger VIDAL

Mille neuf cent soixante et un

Mais ce temps, qu’était-il au fond ?
En parler, est-ce bien utile ?
En tous cas, ce n’est pas facile
Lors que déjà tout se confond.
A Babel Oued ou sur le port,
Sur la plage de Fort de L’eau,
Si nos rêves naissaient dans l’eau,
Nos souvenirs étaient au nord.
Etait le sel au goût amer,
Dans les mains, le sable qui fuit,
Alger, lumières dans la nuit,
Etait l’écume de la mer.
Mais aussi l’odeur des merguez
Pour nos appétits de vingt ans
Et les discours, endoctrinant,
Les Smaïl, Vidal ou Rodriguez.
Au marché des poupées de chair,
De vraies brunes remplies d’amour,
Nous négociaient avec humour,
Leurs gonocoques pas trop chers.
Défiant chancres et véroles,
Dans un bordel, tous les dimanches
Yasmina dans sa robe blanche,
Nous mariait à tour de rôle.
Renaud dansait, cérémonieux,
Buvait sec mais gardait raison,
Chantait aussi plein de chansons
Et d’abord « Les plaisirs des Dieux »
De Fanny, gardions le meilleur,
Le souvenir d’une autre France
Mais c’était chose d’importance
Cet essentiel venu d’ailleurs.
Dans une piaule de caserne,
Renaud et moi, nous partagions,
Papier à lettres et provisions
A la lueur d’une lanterne.
Sur deux strophes d’Apollinaire,
Renaud faisait rimer la Seine,
Avec Rimbaud, avec Verlaine,
Parfois même, avec Baudelaire.
C’est en chantant l’ami Pottier
Ou le camarade Prévert,
Qu’il me semble avoir découvert,
Comme une solide amitié.
De la guerre, que savions-nous
A part le bruit et les couleurs ?
Des bouquets de mortelles fleurs,
Feux d’artifice un peu fous…
Dans la chaleur d’un clair matin,
La sueur mêlée de poussière,
Déposait comme une lumière,
Sur notre peau, un fond de teint.
Marchait Renaud dans l’éboulis,
La tête un peu dans les nuages,
Où se forment les grands orages,
Déjà loin de la Kabylie…
Lui et moi, nous chantions en chœur,
« Marjolaine», cet air rétro,
Dans les gorges de Palestro,
Il reçut une balle au cœur.