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Roger VIDAL

A ma soeur

Quand j'aurai revécu une à une, les pages .
Du livre de nos vies, en les réécrivant,
Ce qu'il me restera, de force et de courage,
Je l'utiliserai pour demeurer vivant.
Comme en un almanach, j’écrirai l'an cinquante
Et quelques uns avant et quelques uns après
Voici notre photo, de ce temps, si marquante,
Tant par nos airs craintifs, que par son propre apprêt
J'irai directement au meilleur du discours,
Comme en un vrai roman, en plein coeur de l'intrigue,
Je dirai la maison, le coin du feu, la cour,
Le chemin du "cantou", le thym et la garrigue.
Je dirai le sapin, Noël aux cent bougies,
La peur des revenants, en nos têtes, ancrée,
Le moine dans le lit, la braise qui rougit
Et je dirai l'école avec l'odeur de craie.
En mélangeant les mots de Français, de patois,
Je dirai le "Patil" et la grange d'Elise,
Je dirai le grenier, la neige sur le toit
Et l'odeur de l'encens, les cierges de l'église.
Je dirai la rivière et ses gouffres mythiques
Zèbres d'éclairs soudains des truites argentées,
Nos longues chevauchées sur ce vélo antique
Que nous volions pour fuir aux mondes enchantés.
Et je dirai la pluie et nos pieds dans les flaques,
Nos assiettes remplies de pâtes au gratin,
Les cloches revenues, nos dimanches de Paques,
Nos chocolats au lit, la tiédeur des matins.
Etais-je Fripounet ? Etais-tu Marisette ?
Notre mère lisait, pour nous, à haute voix,
Nous étions les héros de Vaillant, de Lisette,
Fripounet, Marisette, ainsi, je nous revois.
J’oublierai enfin les images avortées,
Refus d'enregistrer tes départs en pension,
Les aubes de tristesse, un car qui t'emportait,
L'âpre déconvenue de la séparation.
Nos mythes et nos vies, en ces temps, se confondent,
Comme en ces poésies d'enfants un peu voyous:
"Lorsque ma soeur et moi dans les forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds nus au cailloux..."
En nos réalités faites d'images brèves,
Nous étions ces enfants tellement bien décrits
Pardon si j'ai rêvé, si encore je rêve:
"Ce vers-là est à nous, c’est moi qui l'ai écrit".
C’est l’enfance cela, la maison que j'évoque,
Maman, mémé, pépé, nos abris du malheur,
Ah je dirai enfin, pour solder cette époque,
Ce qui nous fut donné d'amour et de chaleur.
Nos vies se comprennent, qu’entourées de douceur,
Tels furent formés nos Moi circonstanciels,
Que passe l'image du frère et de la soeur,
Tout aura été dit, au moins l’essentiel.
C'est peu dire, du temps, qu’il nous est une insulte,
Il suffit d'un regard pour mesurer l'offense
Quand nous débarquâmes aux rivages adultes,
Nos yeux ne savaient rien, hors nos rêves d'enfance.
Quand j'aurai réécrit l'histoire de nos jours,
De nos vies humaines, de tant vouloir s'ouvrir,
Telle qu'elle est gravée, en mon coeur, pour toujours,
Je fermerai le livre et pour ne plus l’ouvrir.