La Terre Promise
Tout enfant qui compulse atlas et portulans
Et qui prête l’oreille aux plus belles légendes
Porte en lui le désir un peu mirobolant
De pays inconnus dont il fait sa provende.
C’est la Terre Promise offerte au juif errant,
Le Continent Perdu où la quiétude dort,
Le Nouveau Monde où luit l’espoir de l’émigrant
Et c’est l’Eldorado cher au conquistador.
Pour certains, c’est une île au cœur de l’océan,
Encore préservée de la débauche humaine,
Où les fruits sont goûteux, le climat bienséant,
Les indigènes nus et l’agitation vaine.
Pour d’autres, c’est l’espace immense et insoumis
Des nordiques forêts et des lacs innombrables
Autour d’une cabane aux rondins entremis,
Patrie de l’orignal et des pourpres érables.
Quelques illuminés y voient une vallée
Longuement ignorée des routes commerciales
Où un peuple naïf, prêt à les aduler,
Est là pour accomplir leur destinée royale.
Pour les plus ambitieux, c’est un pays comblé
Où le lait et le miel coulent en abondance,
Où croissent les prairies, les vignes et le blé
Et où prospèrera leur longue descendance.
Mais les rêves bâtis dans les chambres d’enfant,
Les féeriques projets de paradis sur terre,
Les nobles utopies de l’esprit triomphant
Se révèlent souvent de cruelles chimères.
Car la Terre Promise est à feu et à sang,
Le Continent Perdu, à jamais englouti,
Le Nouveau Monde, fat, vénal et indescent,
L’Eldorado, un mythe aujourd’hui décati.
Mieux vaut ne pas toucher l’objet de sa passion,
Il ne sera jamais aussi beau que le rêve,
Et son mirage ardent maintiendra dans l’action
Celui qui court après, jusqu’au bout et sans trève.
Bienheureux les esprits qu’un intime jardin
Illumine et conduit, et bienheureux Moïse
Qui, étant mort avant de franchir le Jourdain,
N’a pas été déçu par la Terre Promise.
