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Rasib NICOSI

La muse du lavoir de Gascourt


La muse du ru Popelin
Avait ramassé un miroir
Sur un banc adossé au lavoir
Elle avait miré son teint hyalin

Comme les effluves d’une terre inconnue
L’onde du ru charriait des voyelles ingénues

La muse voyait dans son dos
Toutes sortes d’animaux sortir de l’eau

Des salamandres noires moirées de jaune
Avançaient sur les pavés monochromes
Sur le dos comme s’il s’agissait d’hématomes
Les crapauds portaient des yeux de fantômes

Agate d’or aux flambées brunes, les œufs
Enroulés en ruban sur les pattes en œuvre
Attendaient l’immersion pour s’humecter enfin
Pour que les embryons en têtards trouvent la fin

Les crapauds accoucheurs avaient donné rendez-vous
Aux tritons ponctués cachés dans les remous
Des herbes brassées sous les jupes de la lune
Pour chasser les escargots des grottes nocturnes

Un hibou s’envola pour sonner le glas
D’une musaraigne venue s’abreuver au plus bas
Un renard effraya un lapin qui malin
Plongea dans le foin des chevaux opalins
Un pic-vert était désemparé de ne trouver
Aucun insecte par sa langue projetée

La muse tournée vers la forêt
Avait ramassé son miroir
En son centre près du lavoir
Elle voyait défiler le passé

Une guerre toute entière
Avec ses cadavres brûlés dans les chars
Ses poings tendus, ses mains altières
Ses barbares qui s’enfuyaient dans le brouillard

Une guerre toute entière
Avec ses parachutes en lisière
Ses tirs de mitraillettes dans la nuit noire
Ses cris de libération après l’ultime bagarre
La joie, la fête, les cœurs qui dansaient sur la Terre
La paix avait plus de saveur que la guerre

La muse se tournait vers son miroir
Regardait le futur qui se formait dans l’entonnoir
D’un horizon que la charrue d’un tracteur labourait
En s’enfonçant dans cette terre mamelonnée

La muse voyait dans son miroir

Que le futur ressemblait à ces cerfs
Qui venaient s’abreuver des caresses