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Lucien LEPORINI

Je récitais " le bateau ivre"

Quand j’allais, tous les jours, voir ma mère malade,
A la Conception, dans le hall, je lisais
Que RIMBAUD y mourut, au bout de ses balades.
Un marbre sur un mur, gris, l’immortalisait.

Lui savait, arrivant, qu’il n’allait pas survivre.
Elle ne parlait pas de la fatalité.
Tout seul, je récitais des vers du « bateau ivre ».
Un poëme enivrant, pour fuir la vérité.

« Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs »
En peu de mots, on nous avait dit l’indicible.
Il faudrait, dans le mois, affronter le malheur,

« Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs »
Qu’on ne gagnerait pas contre un mal invincible,
Qu’on s’arrêterait à apaiser ses douleurs.

« J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands et de cotons anglais. »
La vie m’offrait une session de rattrapage,
Pour gommer mes absences et mes mots qui cinglaient.

« Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais ».
Nos relations tanguaient, enclines au grippage.
Fierté au goût amer, souvent tu m’aveuglais.

Comment la vie distend des liens bien amarrés ?
Pourquoi l’air familier devient si étouffant ?
On saisit le moment pour tout redémarrer,
Le passé oublié, les coeurs se réchauffant.

Qu’importe si la brouille est ou non légitime,
Un fils, pour ne jamais se conduire en salaud,
Doit se remémorer, en ces instants ultimes,
Qu’il était un enfant, au temps des marshmallows.

« Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
O que ma quille éclate ! O que j’aille à la mer ! »