Ze Prose. Paradoxe Discutable
Nos vies sont pourtant courtes ;
Or, nous les occupons souvent à nous haïr
Et à nous déchirer :
Combien de temps perdu,
Combien d'instants précieux avons-nous tous gâché,
Tel un marcheur aveugle, écrasant une fleur ?
Ils ne reviendront plus, avalés goulûment,
Comme des papiers gras, sur l'eau du caniveau,
Disparaissant à jamais, happés par les égouts.
Devons-nous regretter tous ces moments stupides,
Ces haines, ces rancœurs, ces vaines fâcheries ?
C'est pourtant grâce à elles
Que l’on appréciera les gestes d'amitié,
Tous les élans du cœur, les réconciliations.
Les saints ont des mérites, car il est des démons ;
Le paradis n'a de saveur que si l'on craint l'enfer.
Remercions la bassesse, l'amer vin des tourments,
Le fiel des jalousies :
Ils nous font savourer ces petits paradis,
Ces tendres archipels,
Brèves accalmies sur l'océan furieux.
L'homme est un être étrange,
à qui il plaît souvent de ne voir que l'ivraie,
L'obscur et la douleur,
Mais qui, l'instant suivant,
Ne retient que le miel, l'éclair et la douceur,
Qui porte à jamais le souvenir coloré d'un parfum,
D'un nectar, éphémère et fugace,
Et qui grave ce soleil sur
La pierre grise et morne de l'éternité.
