Dans l'herbe du pré marchent deux ombres Dos à dos dans le matin brumeux Sur la mare des nénuphars bleus Robes abandonnées aux eaux sombres Flottent sous le vol d'un héron Et la forêt sur la pâle épaule De l'aube a lancé sa carmagnole Veste verte du vaste horizon
Le bruissement de la folle-avoine Souligne le lancinant silence Des souffles étouffés en souffrance Suspendus aux pas sourds qui s'éloignent Le coude serré contre le torse L'avant-bras écarté relevé Par un pistolet prolongé Au canon sombre, à la froide crosse
Les chiens armés prêts à aboyer Indiquent l'imminence fatale De l'odeur de la poudre et des balles Du fracas des os et des chairs broyées Attendant un ordre pour tonner Le corps de trois-quarts comme il se doit Et leurs armes pointées sans émoi Un hanneton s’en vient bourdonner
C'est l'instant du fragile équilibre Quand sur un fil la vie joue légère Frissonnant de son affreux mystère Le front moite et les tempes qui vibrent Dans un instant un infime instant Une chemise tâche écarlate S'abattra dans l'herbe délicate L'herbe calme du pré sous le vent