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Giovanni BENINI

Naufrage

Sous la blanche chevelure de l'onde vive,
Où se mirent les Néréides aux yeux verts,
Dorment les ténébreux destriers des enfers,
Maintenant, vestiges d'épouvantes plaintives.
Galions assis sur le sable noir des abysses
Que les grands vents nocturnes bercent en silence,
Frégates déchirées sur des pierres trop lisses
Que des volcans furieux ont expulsé en transe,
Ces cargaisons de visages ensevelis,
Ces regards froids de pieuvres collées aux hublots,
Ces songes d'anémones enlaçant les nuits,
Tant d'illusions dorées que brasserait la faux!

Hier, ils affrontaient la tourbière des Sargasses
Où des Léviathans mugissent dans les algues,
Où les marées agonisent, pleurant les vagues,
Où des crabes géants étalent leur carcasse.
Au Cap Horn l'écume flagellait les vigies,
Des dauphins facétieux filaient vers les étoiles
Laissant aux rudes rafales un mât démis
Et des chairs tuméfiées, entassées sous les voiles.
Aux atolls moirés où grondent les chiens de mer,
Ils se baignaient dans des aurores d'émeraude
Puis, se hasardaient dans l'antre de la sorcière
Pour s'émerveiller des mélopées du rhapsode.

Près des Hébrides, le phare des disparus
Hurla en souffrance le nom caché des Dieux,
Ils virent, démentiel, dériver en ces lieux
Le vaisseau fantôme et ses figures perdues.
Mais bientôt emportés vers les sombres rivages
De cette île où la mort souffle dans les cyprès
Et des chants lugubres convoquent les naufrages
Sous les voûtes nimbées de vitraux embrasés;
Le rocher des sirènes, insane cathédrale
D'ossements édifiés pour une éternité,
Les appelait comme la voix de leur passé
Qui exerçait sur eux un prestige infernal.
Comme en un miroir aux images tourmentées,
Ils virent défiler leur jeunesse fragile,
Voulurent s'emparer de toutes ces années
Mais les sortilèges s'effacèrent, futiles.

Ils errèrent longtemps ainsi que des épaves
Tout le long des brisants au grouillement d'empouses,
Des lunes ensanglantées jetaient leurs ventouses,
Des trombes vermeilles s'accrochaient à l'étrave.
La peur au ventre, ils se réfugiaient dans la cale
Prostrés et suppliant le secours de leur Père,
Une lame féconde exauça leurs prières,
Les transporta enfin vers leur dernière escale.
La lagune enchantée et ses nuages d'ambre
Que des battements d'ailes dispersaient au loin
Enivra leurs âmes avec le suave pampre
Pour qu'ils en oublient cet implacable destin...
Les Quarantièmes Rugissants et leur crinière
De tornades et de tonnerre les écrasèrent,
Ils sombrèrent dans les eaux glauques du Léthé,
Serrant avec fureur des pépites fanées,
En vain, ont-ils vécu de grandes aventures
Des poussières d'étoiles logent dans leurs yeux,
Au fond des gouffres surnagent leurs moisissures
Reliques dérisoires de rêves radieux.