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Giovanni BENINI

Les utopies

Volez, planez, très haut, dans l’éther insondable,
Emportez nos rêves sur vos ailes nacrées,
Que tous ces nuages où s’enfuient les années
S’en reviennent un jour chargés d’antiques fables.
De ce roi de Thulé et de sa coupe d’or,
Où brillait l’image de son précieux trésor
Maintenant emportée par de noires rafales
Dans les eaux amères aux plaintes sépulcrales.
Sur le continent Mu vivent les Antipodes
Dont les pieds inversés vont rebrousser chemin
Convertis, apostats, ils mystifient les codes
Tartuffe le matin et le soir bon Scapin.
La dame à la licorne attire les chasseurs
Sur sa tapisserie où va saigner son cœur,
Le Blemmye sans visage et le Monocle hautain,
D’un prieuré, pénitents, sont les seuls paroissiens.
Sur la croupe flamboyante des hippogriffes,
Trouvera-t-on enfin ces terres bienheureuses
Où coule le miel blond et danse la scabieuse
Où l’ardeur du soleil enflamme les hauts ifs ?
Eldorado, ce paradis du nouveau monde !
Ni tes fruits généreux ni tes mines d’argent
Ne feront oublier ces massacres immondes,
Ces ruées sauvages, ces rivières de sang.
Avalon, Avalon, ta montagne sacrée,
Noyée dans des brumes que suscite la fée,
Abritent des grands lacs d’émeraudes fumantes
Où brille Excalibur dans une main flottante.
La prestigieuse Asgard, ses palais de basalte,
Se sont tous effondrés dans un long hurlement
C’est le crépuscule des Dieux, affreux tourments,
Quand le ciel s’assombrit, seule la mort s’exalte.
Au pays de Cocagne aux délices véniels,
Les panses sont gonflées comme Pantagruel
Des cornes d’abondance offertes aux passants
Moisissent en-dessous d’un gibet menaçant.
Montségur fracassé, ce rocher du vertige,
Préserva en martyr le secret des Cathares,
Un St Graal mutilé, dépouillé de prestige,
Que quelques nazillons recherchèrent, hagards.
Des îles Salomon où coule le Pactole
S’embarquèrent jadis les colonnes du temple,
Qui à Jérusalem fut un féal symbole,
Avant d’être Salem aux brûlés pour l’exemple.
C’est sous l’Himalaya que s’étend l’Agarrtha
Dans un cocon glacial dort le dernier archonte
Qui se réveillera quand sonnera le glas
Pour séparer les justes des fils de la honte…
Et combien d’utopies traversèrent les mers
Suscitant les désirs d’abolir les enfers,
D’ordonner les cités comme un grand horloger,
Une ruche immense où chaque homme est pétrifié.
S’il arrive au savant, enlacé à sa muse,
D’inventer des pays ou jamais rien ne s’use,
De voir comme une orange sa terre si bleue
Devenir fruit pourri, rejeté aux lépreux.
Qu’il se rappelle alors que toute perfection
Dans sa quête absolue engendre des démons,
Que si la pureté enchante les azurs
Elle éclaire souvent les charniers de l’impur.