Vos
poèmes

Poésie Française : 1 er site français de poésie

Vos<br>poemes
Offrir
ce poème

Giovanni BENINI

Destination inconnue

Et toujours, ce train lent issu des aubes blanches
Glisse sur la neige sous des lueurs pervenche
Un sombre halo le coiffe tel un démon
Son œil de cyclope scrute les environs
Chaque jour il traverse la steppes assoupie
Sous un linceul de glace où se perdent les nuits
De grands hêtres gelés et leurs flammes de givre
Filent le long des rails où claironnent des cuivres,
D’occultes personnages penchés aux fenêtres
Fixent le paysage avant de disparaître,
D’autres âmes perdues errent dans les couloirs
Et cherchent tristement leur vain compartiment,
Assis, auprès de mes souvenirs hésitants
Je fouille ma mémoire comme un vieux grimoire
Dans ce wagon grinçant où titubent les heures
J’évoque ma jeunesse et mes anciens bonheurs
Dans l’espoir incertain d’y retrouver mon nom…
Nous sommes tous pareils à des clefs sans serrures,
Aux miroirs aveugles constellés de fissures,
Quand nous interpellons personne ne répond,
Chacun a dispersé sa propre identité
Qui sont ces voyageurs et quelle est leur mission ?
Ils sont si différents pourtant apparentés
Dans leur étonnement de ce sort si abscons,
Chacun se regarde puis chacun s’interroge
Et voudrait s’éveiller au timbre de l’horloge,
Mais toujours ce train lent poursuit un long sommeil,
Toujours les mêmes quais qui fuient les faux soleils
Car jamais une gare et jamais nul repos
Pour cette armée mourante dans l'incognito,
Parfois le long des voies on croise des regards,
Des mains cherchent le ciel tels des oiseaux hagards,
On entend des tambours rouler dans les vallées,
Le ciel ensanglanté est percé de fusées,
Est-ce signe de guerre, y fête-t-on la paix
Comment peut-on savoir quand tout est biaisé?
Et toujours ce train lent s'enfonce dans la brume
Dans ce désert glacial que hantent les absences
Où les vents violents martèlent des enclumes
Et finissent brisés sur un bloc de silence,
Mais qu'avons-nous donc fait, qui nous a condamnés
Quelle calamité avons-nous provoqué ?
Sommes-nous l’engeance du Caïn fratricide
Ou de Jonas fuyant sa vocation aride ?
Le temps devient poussière et nous restons sans voix,
Des pantins ballottés dans cet frileux convoi,
Un jour dit-on nous verrons l’ultime station
Comme un cristal flambant au cœur d’un tourbillon,
Serons-nous effrayés par tant de pureté
Aurons-nous la force d’arrêter le trajet ?
Le bruit du roulement répond seul aux questions
Et ce train lentement s’éclipse à l’horizon.