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François BEMELMANS

Nostalgie

Je n'ai gardé de toi que le souvenir flou
D'un regard angevin, d'une douce frimousse,
D'un plissement des yeux, d'un nez qui se retrousse
Quand tu riais de moi et t'amusais de tout.

Je n'ai gardé de nous qu'une photo de classe
Où l'on devine à peine en un coin du papier,
Tout au fond d'une cour, deux ombres qui s'enlacent
Dans la pâle lueur de cet instant figé.

Nous étions deux amis qui, l'école finie,
Ont suivi leur chemin sans plus se retourner,
Une idylle d'enfants aux âmes désunies
Que le destin poussait vers d'autres voluptés.

Et j'ai eu brusquement ce besoin furieux
De remonter le temps et te rendre visite,
De chercher sans délai le lieu où tu habites
Et te dire combien j'avais été heureux.

Et je suis arrivé au bord de ton jardin
Dont le portail ouvert si tôt de bon matin
Laissait penser que chez toi nul n’est importun
Ou que peut-être alors tu attendais quelqu'un.

J’avais le cœur serré et la gorge oppressée
Alors que j’avançais dans la petite allée.
Il me faudrait bientôt affronter cet instant
Si souvent différé depuis près de vingt ans.

Fallait-il insister ou bien m'en retourner,
Allais-tu m'accueillir ou bien me renvoyer,
Comment comprendrais-tu les mots que j’allais dire,
Allais-tu t’en moquer ou bien t’en attendrir ?

Je me suis arrêté au seuil de ta maison
Dont l'ombre s'allongeait dans le soleil d'été,
Et je suis resté là, triste et désemparé,
Face à ce marbre froid où on lisait deux noms.

Et prosterné devant ce rectangle de pierre,
Envoûté par des chants qui semblaient s'élever
Comme un hymne sacré du profond de la terre,
Je t’appelai tout bas et me mis à prier.

Quels merveilleux moments me furent accordés
Et quel doux serrement en entendant ta voix,
Tellement cristalline et lointaine à la fois
Qu'incrédule et surpris je me suis retourné.

Pas un souffle de vent ne caressait les branches
Des grands arbres dressés au milieu du silence.
Un jardinier au loin ratissait en cadence
Un terrain parsemé de bouquets de fleurs blanches.

Ce n'étaient ni des mots ni moins encor des phrases
Que je perçus alors dans ces instants d'extase
C'était un long murmure aux accents familiers,
La plainte d'un dormeur dans un rêve agité.