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Etienne CHAMPOLLION

Le gouffre I

I

Je marchais longuement sur des fleuves trop clairs,
Quand l’orage criant au plus profond du gouffre
Me jeta, assommé sous des trombes d’éclairs,
Se mêlèrent en moi le salpêtre et le soufre !

J’ai dés lors voyagé loin du soleil luisant,
Et connu les beautés intimes et secrètes,
Des ténèbres obscurs pris de Diables puisant
Dans mon Ame les feux à mes roses muettes.

J’ai couru, j’ai rampé, j’ai glissé aux cachots,
Remplis d’aubes sans noms et de nuits infâmes,
Où l’Ennui vous embrasse en des baisers moins chauds,
Qu’un hiver crépissant des plus morbides drames.

Il m’est aussi venu des rêves nonchalants
Aux frissons d’impudeur, aux roses enflammées,
Ainsi que des désirs où mes plus forts talents
Joignirent aux tombeaux mille croix parfumées.

Parfois même les soirs m’apparurent en feu,
Sous la marbre agonie et l’œil involontaire,
De mon crâne jadis empli d’or et de Dieu,
Maintenant charognard de noir et de misère.

Ha mortuaire gouffre où mon cœur est tombé,
Combien de pas tremblants ai-je fais jusqu’à n’être
Que ce caveau fumant un parfum surplombé
De vice et d’ouragan, de l’ Ennui en seul maître !

J’ai vu le jour gelé de potences en deuil !
J’ai vu l’aube crier sa tiédeur nouvelle,
Et j’ai cru voir la brune empruntant au cercueil
Ses coussins vermillons d’absence et de mort belle.

J’ai compris le bûcher du rêveur insolent,
C’est le Temps ! c’est le Temps, pétrifiantes horloges !
Cognant à grands coups sourds dans mon esprit hurlant
Au néant les caveaux comme plus belles loges !

Mon corps bien insensible aux larmes du phœnix,
Dut apprendre l’effroi et ses plaisirs funestes,
Et je sais maintenant la jouissance des strix
A voir dans les nuits nos plus funèbres gestes.

J’ai connu Méphisto, un trou noir dans ses yeux,
Ses fourches et ses fleurs, ses flammes et ses lèvres,
Et je jure que l’homme est encor plus odieux ;
L’Enfer n’a pour égal que les plus grands orfèvres.

Je sais tous les secrets ! je sais le pourpre sort !
Tout comme l’infini est chose inconsommable,
Voyez-vous je demeure et suis ma seule mort
Me mordant chaque jour en une baise aimable !