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Etienne CHAMPOLLION

A la bonne taverne

Quand le tabac brûlant ainsi que sa fumée,
Vous sculptent un tableau au spectre d’une nuit ;
Quand les cartes de jeu font frissonner l’ennui,
Quand d’absinthe et de vin toute âme est parfumée ;
C’est que vous êtes là dans l’antre de l’enfer,
D’une taverne au feu aussi rouge qu’un fer !

Sous l’orange néon des piteuses lanternes,
L’on joue à la belote, au tarot, au poker,
Dénué de pudeur suant comme un docker ;
L’alcool et tous les bocks vous dessinent des cernes,
Tellement qu’au matin, dormant dans un arum,
L'on se réveille mort dans des senteurs de rhum !

Le son froid du piano qui a perdu son feutre,
Le regard orbitant d’un ivrogne charmant ;
D’un monde pein d’effroi il en naît un diamant,
Ces longs pleurs de mille ans qu’à minuit l’on calfeutre,
Eclos d’une amour morte ou d’un parfum perdu,
Dans l’ivresse du bar le cœur est entendu !

Du plus vieux tavernier à la serveuse imberbe,
S’échangent des saveurs aux effluves d’orient ;
Dans l’alcôve des sens vous êtes souriant,
Entouré de ces fous qui mâchouillent le verbe ;
C’est une poésie ivre de nudité,
Où se cognent les poings et la lubricité !

Voyez le vieux pilier comme colonne au temple,
Où chaque soir dandys, dans des vapeurs d’opium,
Une foule narguant tout le pandémonium,
Vient prier Dionysos et suivre son exemple ;
Dans l’angle de l’église une sculpture d’encens,
Inspire le poète et embrase ses sens !

C’est une cathédrale aux blondes icariennes !
C’est un coin de repos qui se peint aux grands soirs !
Les chopes de zythum comme des ostensoirs,
Et d’étranges repas pris d’odeurs Edeniennes ;
Au dehors de l’auberge on entend des chansons,
Dont les voix de démons vous donnent des frissons !

L’on chante et l’on festoie et ça jusqu’à l’aurore,
En se gavant de foin et de femme et d’obscurs
Rêves bien indécents que l’on peint sur les murs ;
Ici point de morale, ici l’homme s’honore,
A faire son portrait dans des verres remplis
De gnôle autant que d’âme et pour Jésus tant pis !

Des fantômes riant vous sortent du grand lustre,
On y voit même Dieu de cervoise dépeint,
Et puis quarante chats qui mandent votre pain ;
Alors venez lecteur dans cet endroit illustre,
A la bonne Taverne ! à ce lieux embrumé
D’une mysticité où le cierge est fumé !