Vos
poèmes

Poésie Française : 1 er site français de poésie

Vos<br>poemes
Offrir
ce poème

David BERNARD

Aux mots brûlés

C'est une petite ruelle,
Serpente à flanc de colline,
À Madrid ou à Bruxelles,
Une librairie argentine

S'y tient entre des murs peints,
Et rien n'est droit alentour,
Cette échoppe d'un Italien,
Semble oubliée pour toujours.

Dans une lueur vacillante,
Un silence jamais entier,
Sont rangées ces feuilles volantes
Par milliards dans des casiers.

En longeant les étagères,
S'échappent des mots manuscrits :
Des "je t'aime", "je fais la guerre",
Aux pages cornées sont inscrits.

Plus de langues que d'êtres humains,
Des caractères d'imprimerie
Plus nombreux que des marins
Morts en mer de dysenterie.

Tous les alphabets du monde,
Plus incompris qu'une Joconde,
Classées par ce qui avorte,
S'y retrouvent des lettres mortes :

Des mots d'adieux, des excuses,
Des fins de non-recevoir,
De l'importun, des intruses,
Des mots trop durs ou trop noirs ;

Des carnets d'correspondance,
Brûlés par des cancres las,
Des suppliques aux assurances,
Des courriers pour l'au-delà ;

Il y a des demandes de grâce,
Des "j'espère que tu vas bien",
Des "je t'aime et je t'embrasse",
Le rayon - trop tard - est plein...

Le vieil italien rit jaune,
Et bouscule son apprenti,
Ses chicots offrent l'aumône,
D'un sourire plein de folie !

À Madrid ou à Bruxelles,
J'ai dévalé la colline,
Me jetant dans ces ruelles,
Pour fuir ce qui m'abomine.