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Benoît DUFOUR

Le clou 4: Mosul et fin

La terre dans ma bouche
Etait poussière il n’y a qu’un instant.
Elle volait légère soulevée par le vent.
Brossait les dunes, mêlait les couleurs,
Voilait les briques brunes d’une même vapeur.
Pourtant, sombre clameur de sable sang,
Elle savait cacher l’horreur et m’a laissé le temps
De vivre ma peur, de claquer des dents,
De figer mon cœur au moindre tournant.
Depuis trois mois sous deux barrettes,
Je tiens mon doigt sur une gâchette.
Tous les yeux sur moi sont hostiles.
Toutes les haines me noient de bile.
Les rues et les champs, les femmes, les enfants,
Le regard fuyant, nous glacent le sang.
Les hommes sans parler et même en souriant
Nous giflent armés de leurs yeux ardents.
Même en cuirasse, attendre nu
Que le temps passe fait perdre de vue
Sa propre vie, et jette l’avenir
Sur un mur gris, d’acier et de délires.
Une simple patrouille armée de leurres,
Casquée de trouille et blindée de sueur,
N’offre à Mosûl rien moins que sa vie.
Ici ce qui s’écoule, autour de moi, c’est bien ma vie.
La terre, mon sang : ma boue.
Mes tympans hurlent et recrachent
En bavant des échardes qui m’écorchent.
Eclatées et déchirées, les pointes acérées
Griffent mon âme vidée de craintes impensées.
La terre boit.
Mes dents m’accrochent à la glaise.
Mes doigts cherchent dans la braise
Un bras qui ne répond pas,
Un amas liquide, un estomac.
La terre boit.
Mes yeux sèchent sur l’acier brûlé.
Ma joue lèche un casque déchiqueté.
Ma botte lointaine a gardé un pied
Mais rien ne me gêne je suis couché.
La terre boit.
La terre boit mon sang,
Et la guerre mange mon corps.
Quelle offrande ! Et quel partage !
L’image est grande, mais c’est de rage
Que je cracherai mon dernier sang
Pour ne donner à ces hauts rangs
Que basse honte sans héros,
Qu’un sale décompte sans brio
D’un mort de plus dans leurs dossiers,
Inscrit au mur, gravé, doré.
J’étais soldat j’avais la foi.
J’ai signé là et pour une fois,
J’ai prié Dieu autant qu’Allah
D’aimer tous ceux qui ne s’aimaient pas.
Mais quand l’horreur a deux visages,
Et que je meurs dans ce carnage,
Je vomis Bush, al Qaeda,
Leur Dieu farouche autant qu’Allah.