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Arnaud JONQUET

Le grand passage

Nous qui depuis longtemps déjà avons passé
Cet âge que l’on croit le milieu de sa vie,
Qui marchons maintenant d’un pas un peu lassé
Comme le voyageur, la montagne gravie,
Redescend lentement vers son humble maison,
Quand nos jeunes passions au fil du temps s’apaisent
Par nos efforts enfin soumises à la raison,
Lorsque le poids des ans à notre épaule pèse,
Quand les peines et les joies envoyées par les cieux
Comme l’eau sur le roc ont creusé nos visages,
Nous découvrons alors ce que veut dire vieux.
Et nous pensons souvent au prochain grand voyage,
Ce saut dans l’inconnu tout au bout du chemin.
Chaque seconde nous rapproche du mystère
Dont nul ne sait le jour ; - dans dix ans ou demain ? -
Quand nous déposerons pour le rendre à la terre
Ce corps déjà usé tout au fond d’un tombeau
Que couvriront des fleurs sur une plaque de marbre.
C’est le destin des hommes et même des plus beaux.
Ils vieillissent, on dirait, un peu comme des arbres
Perdant leurs feuilles après leurs fleurs et leurs fruits,
Leur tronc et leurs bras nus frissonnent dans la bise
Dépourvu du manteau que l’automne a détruit.
L’arbre retrouvera, lui, sa parure exquise,
Phœnix recouvert de son bel habit vert,
Mais nous laisserons, nous, dans notre terre mère,
Notre carcasse vide à la fin de l’hiver
Dans une boîte en bois posée sous une pierre.
Et pendant que parmi les couronnes de fleurs,
Les paroles émues, les chants et les prières,
Les parents, les amis verseront quelques pleurs,
Nous flotterons, léger, là-haut dans la lumière,
Esprit libre et conscient, tellement étonné
De penser et de voir, de sentir toutes choses
En dehors de ce corps qu’on vient d’abandonner,
Reposant là, plus bas dans les lys et les roses.
Débarrassé d’un poids gênant et douloureux,
L’esprit est libéré, ballon que l’on déleste,
Montant toujours ainsi qu’un souffle vaporeux
Qu’attire la clarté de sa patrie céleste.
Bien étrange d’entendre et de voir, c’est certain,
Sans pouvoir les toucher ses parents et ses proches.
Séparé du monde par un miroir sans tain,
On se sent éprouvé parfois par des reproches
Mais plus souvent comblé par l’éloge des siens.
On voudrait consoler ces êtres qui vous pleurent
Et leur dire : « Je suis vivant ! La mort n’est rien ! »
Mais ils n’entendent pas et tristement demeurent
Éperdus, accablés devant notre cercueil.
Amis, n’ayons pas peur, ceci n’est qu’un passage,
Que vos cœurs ne soient pas assombris par le deuil,
Oui, la vie se poursuit sur un autre rivage,
Un autre plan de vie, invisible à nos yeux
Tant que nous sommes ici, voyageurs éphémères.
Un jour nous monterons au séjour radieux ;
Notre âme exultera, réjouie dans la lumière,
Accueillie par la joie de tous les êtres chers
Dont les âmes là-haut avant nous sont parties.
Notre esprit, libéré, sillonnera l’éther ;
La mort n’existe pas, il n’y a que la Vie.