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Ange DELAUNOIS

Le marin

A deux heures du matin au café de la ville
A ces heures où l'alcool fait de nous une famille
Trônait sur une table, fier comme Napoléon
Un vieux marin ivre d'orgueil et de bourbon.
Depuis sa pyramide, il lançait son message
Aux hommes de la plaine, comme le plus grand des sages
Il agitait ses bras tels les lumières d'un phare,
Le fond de sas yeux flous questionnait l'auditoire
Et d’une voix caverneuse comme sortie des abysses
En hélant la fortune il commença l’office :
« Ecoutez-moi bien, tous, habitants de la plaine,
Ouvriers insoumis aux douleurs souveraines
Ecoutez cet appel que lance un de vos frères… »
Il y eut bien quelques sombres pour tenter de le taire
Mais cet homme, inflexible, continuait son discours
Sa voix tant bien que mal suivant l’instable cours.
« Dans le temps j’ai cherché l’impossible lumière
En bravant les marées, m’enfonçant dans la mer
J’étais alors bien jeune et le cœur plein d’espoir
Héros de pacotille au début de l’histoire.
J’ai rencontré les monstres les plus inattendus
Surgir de ces abîmes qu’on préfère inconnus.
J’ai pris part à des guerres qu’on ne sait pas encore
Excusez si je pleure, des amis y sont morts.
J’ai même trouvé des îles là-bas sur l’horizon
Palais où j’ai vécu, exotiques garnisons
En attendant l’appel que la mer m’enverrai
De repartir en guerre pour y chercher le Vrai.
J’ai même dans mes exils touché des ailes d’Ange
Mes lèvres y ont goûté de bien curieux mélanges,
Si bien qu’au fil des mois j’en oubliai mon but.
Dans ma tête la quête avait bien disparu.
Et peu à peu alors cette lumière lointaine
Me sembla une sœur faible, menteuse et vaine.
C’est alors qu’arriva le moment du retour
Adieu mes aventures et adieu mes amours,
Je pris la tête basse la route en sens inverse
N’ayant plus à braver que de pauvres averses
Mon cœur sans illusions envahi d’amertume,
La proue de mon navire émoussée par l’écume.
En laissant loin derrière tant de vieux camarades
L’horizon n’avait l’air que d’un ligne bien fade.
En quittant mes vieux gouffres pour le seuil d’une maison
Ce n’était que la route vers un abysse sans fond.
J’enfermais dans la brume tous mes anciens amis
Et me laissait couler par le vin ennemi.
J’ai quitté les tempêtes pour une lande stérile
Dont les brises glacées ne sont pas moins hostiles.
Le nez dans la poussière en taisant les soupirs
Je mes suis caché dans l’armoire à souvenirs.
Cette histoire semblera peut-être bien banale… »
Mais son trône de table était bien trop bancal
Et il fut éjecté sur le sol du café
Sans finir son récit, pantin humilié,
Tous les clients le virent en riant de bon cœur,
Cet aigri alcoolique qui avait fait son heure.